Paysages intimistes, œuvre du banquier Albert Kahn (1860-1940), ses jardins, créés entre 1895 et 1910 au bord de la Seine, à Boulogne-Billancourt, à quelques pas d’Auteuil et de Paris, célèbrent le printemps à la manière japonaise.
À déambuler légèrement dans ses allées, par une fraîche matinée de mars, impossible de ne pas être attiré par cette floraison rosée, légère, frémissant au moindre vent, celle des cerisiers du Japon. Tel un nuage qui enveloppe la prairie, reflétant dans ses millions de pétales un soleil encore timide, ces cerisiers illuminent le jardin japonais, un des jardins de ce lieu étonnant, où l’on fait un tour du monde en une promenade.
Au tout début du XXe siècle, Albert Kahn séjourne à Boulogne, dans une demeure aux façades claires, entourée d’un jardin. Alsacien d’origine, banquier mais aussi mécène et philanthrope, fils spirituel d’Henri Bergson, il consacre sa fortune à la réalisation d’un vaste projet qui préfigure l’esprit de la Société des Nations : la réconciliation des peuples par une meilleure connaissance mutuelle et une prise de conscience des réalités sociales, politiques et économiques de pays alors très peu connus de l’Europe occidentale.
Chez lui, dans sa propriété de Boulogne-Billancourt -alors Boulogne-sur-Seine-, propriété qui s’est agrandie petit à petit au fil des rachats de parcelles voisines, Albert Kahn poursuit son oeuvre en recréant les paysages qu’il chérit. Dans ses jardins, il rassemble en toute harmonie des scènes issues de traditions occidentales et orientales, sans oublier des forêts : forêts bleue et dorée, sans oublier celle de son pays natal, les Vosges.
Le plus célèbre de ces jardins est sans conteste, le jardin japonais. Au début de la création du jardin, ce sont de véritables maisons traditionnelles qui arrivent du pays du soleil levant pour y recréer un village japonais, aux toits de chaume, niché dans un somptueux écrin végétal.
Dans le milieu des années soixante, un incendie en détruit malheureusement une partie et c’est l’architecte Fumiaki Takano qui vient y recréer, plus tard, dans les années 80 et à l’occasion d’une nouvelle gestion, un jardin contemporain d’inspiration japonaise dont le concept paysager est basé sur la symbolique de la vie humaine : un cours d’eau jaillissant, tempétueux ou plus calme, traduit les différents âges de la vie.
Le paysage de ce microcosme est marqué au printemps par la floraison immaculée des cerisiers et celle, flamboyante de la montagne des azalées.
Spectacle émouvant de délicatesse et de fraîcheur, la floraison des Prunus est chaque année un moment fort dans la suite d’évènements floristiques dont le jardin est le théâtre. Jusqu’à l’année dernière, le Prunus mume, l’abricotier du Japon, était le premier à fleurir à la fin de l’hiver. Planté depuis la création du jardin japonais aux côtés de la haute porte sombre qui s’ouvrait à l’origine sur les maisonnettes en bois, il annonçait le printemps de sa floraison rosée : «Malheureusement les rigueurs de l’hiver dernier ont eu raison de lui», constate Michel Farris, responsable du jardin et formé ainsi que ses jardiniers aux techniques de taille et d’entretien bien spécifiques pratiquées au Japon. «Et nous aurons beaucoup de difficultés pour en trouver un nouvel exemplaire car ils ne se trouvent guère qu’en Asie ou au Japon».
Un peu plus loin, et un peu plus tard -en mars-avril suivant les années-, les Prunus sakura et subhirtella déployent leurs branches couvertes de fleurs au dessus de la prairie : le premiers, d’un rose léger, et le second, blanc nacré, ont étendu leurs ramures jusqu’à surplomber la rivière. La douceur de ces frondaisons aériennes contraste avec les berges de pierre acérées qui symbolisent, dans la vie de l’être humain, les difficultés de l’âge adulte. Plantés il y a une trentaine d’années, ils poursuivent leur croissance aux côtés de magnolias d’espèces variées : «Les Magnolia stellata sont mes préférés», poursuit Michel Farris. «Taillés au fur et à mesure de leur croissance, ils sont très anciens et la simplicité de leurs fleurs, leur silhouette travaillée mais jamais sophistiquée, en font aussi des arbres remarqués du jardin japonais»Aujourd’hui, voisins amoureux du calme de ses jardins et visiteurs du bout du monde, écoliers étonnés et cadres en quête de sérénité, professionnels du paysage ou amateurs de jardins, tous sont attirés par la renommée d’un lieu où se partagent la fidélité à une oeuvre et un réel souci de perfection.