Blooming in Dublin

Texte : Dominique Guerrier-Dubarle
Photos : Dominique Guerrier-Dubarle
In : JARDINS D'EDEN Eté 2011

New City trips fashion, these short trips to the discovery of a major European city, has multiplied the ways to relax and forget the everyday life during a long weekend. With spring arrived, ‘Garden City Trips’ have taken over ! Destination : Dublin and his luxury gardens !

La mode des city-trip, ces courts voyages à la découverte d’une grande ville européenne, a multiplié les manières de se délasser et d’oublier le quotidien le temps d’un long week-end. Avec le printemps revenu, les ‘Garden City Trip‘ ont pris le relais ! Destination : Dublin et ses jardins à la végétation luxuriante !

Contrée accueillante au charme inimitable, l’Irlande est un autre petit paradis du jardin. Son climat affable, ses ciels si limpides, son air tonique, font se déployer des fougères arborescentes dans le Kerry, s’épanouir en nuances chatoyantes des massifs de rhododendrons aux dimensions impressionnantes ou donnent aux Arbutus unedo et nombre d’arbres originaires de pays du Sud des allures de géants.

Anne Hamilton a conçu ce jardin formé de trois îles, mouvantes comme des vagues, cernées de fins canaux d'une eau tranquille. Un chemin de lattes de bois serpente entre les massifs de Felicia amelloides 'Read's Blue' et de Carex riparia mélangé à quelques Agapanthus 'Peter Pan'. Les murs en pierre sèche n'ont requis aucun béton ni ciment, pour faire de ce jardin un vrai espace durable.
Anne Hamilton a conçu ce jardin formé de trois îles, mouvantes comme des vagues, cernées de fins canaux d’une eau tranquille. Un chemin de lattes de bois serpente entre les massifs de Felicia amelloides ‘Read’s Blue’ et de Carex riparia mélangé à quelques Agapanthus ‘Peter Pan’. Les murs en pierre sèche n’ont requis aucun béton ni ciment, pour faire de ce jardin un vrai espace durable.

Dublin est à elle seule une destination passionnante. Notamment début juin car il s’y produit le plus important Garden Show du pays, le bien nommé Bloom. Si depuis 1922, Bloom évoque pour beaucoup le héros de James Joyce, célébré chaque année le 16 juin à l’occasion du Bloom’s Day, Bloom va désormais résonner aux oreilles des jardiniers comme un autre événement à retenir dans le calendrier, de plus en plus chargé, des fêtes des plantes.

L'intégration d'éléments graphiques spectaculaires où l'ombre sait jouer magnifiquement avec la lumière  compose un jardin reposant et calme. Concept : Niall Maxwell.
L’intégration d’éléments graphiques spectaculaires où l’ombre sait jouer magnifiquement avec la lumière compose un jardin reposant et calme. Concept : Niall Maxwell.

Cette grande fête du végétal s’est installée dans Phoenix Park, un immense espace de verdure de 700 hectares, créé aux portes de Dublin dès le XVIIe siècle et devenu aujourd’hui le plus grand parc urbain d’Europe ! Bloom, organisé par Bord Bia, conseil irlandais de l’alimentation, et dédié à la fois aux plantes, aux jardins et aux produits du terroir, attire les jardiniers de tout le pays et d’ailleurs !

Cette thématique en blanc et noir est renouvelée par le jardinier et ethnobotaniste Fiann Ó Nualláin qui y apporte la vision métaphysique du bois sacré des druides. Sa palette fait appel à des plantes indigènes : Ajuga reptans, Allium ursinum, Athyrium filix femina, Betula pendula, Deschampsia cespitosa, Dryopteris filix-mas, Gallium odoratum.
Cette thématique en blanc et noir est renouvelée par le jardinier et ethnobotaniste Fiann Ó Nualláin qui y apporte la vision métaphysique du bois sacré des druides. Sa palette fait appel à des plantes indigènes : Ajuga reptans, Allium ursinum, Athyrium filix femina, Betula pendula, Deschampsia cespitosa, Dryopteris filix-mas, Gallium odoratum.

Autour d’un remarquable Victorian Kitchen Garden, créé en 1838 et dont la restauration s’achève cette année, pépiniéristes, floriculteurs, producteurs se retrouvent en extérieur ou sous de grandes tentes, aux côtés de jeunes paysagistes participant au Garden Show (voir encadré), mais aussi de stands de décoration de jardin, d’artisans, de jeux pour les enfants, de restaurants ou d’espaces de dégustation : ambiance bien irlandaise, faite avant tout de simplicité et de bonne humeur, à laquelle il est bon de préciser que le soleil apporte très souvent sa présence !!!

Au cœur de Phoenix Park, dans la banlieue de Dublin, ce Victorian Kitchen Garden a été restauré dans les règles de l'art.
Au cœur de Phoenix Park, dans la banlieue de Dublin, ce Victorian Kitchen Garden a été restauré dans les règles de l’art.

Prenant comme prétexte cet agréable événement, notre Garden City Trip s’aventure d’abord à Dublin même. La ville s’est largement modernisée mais a gardé en son centre son visage d’antan : maisons victoriennes aux portes multicolores, calme et jardins ! On y traverse St. Stephen’s Green avant d’aller visiter les Iveagh Gardens ou flâner dans les jardins de Trinity College. Mais les passionnés de plantes se dirigent vite vers le jardin botanique national, à Glasnevin, au nord de Dublin. Créé en 1790 et devenu au XIXe siècle un des dix plus importants jardins botaniques du monde, cet immense domaine est célèbre pour ses remarquables serres, récemment restaurées, où sont abritées depuis 150 ans, collections de plantes tropicales et notamment une incroyable collection d’orchidées. Plus de trois cent plantes menacées et six plantes aujourd’hui disparues ont trouvé abri dans ce jardin qui accueille également le National Herbarium.

De gauche à droite : Tupistra chinensis, Saxifraga longifolia 'Francis Cade' et Deutzia rubens. Jardin Botanique de Glasnevin.
De gauche à droite : Tupistra chinensis, Saxifraga longifolia ‘Francis Cade’ et Deutzia rubens. Jardin Botanique de Glasnevin.

La douceur de juin incite à commencer la promenade dans les allées qui serpentent au travers d’innombrables collections : plantes de Chine, pivoines arborescentes, iris, chrysanthemums, roseraie contemporaine, potager, jardin alpin, jardin de rocaille… toutes retiennent l’attention par les plantes présentées mais aussi par la conception paysagère même de ces espaces.

Le jardin botanique de Glasnevin est fier de sa collection d'iris. De gauche à droite : 'Brise de Mars', 'Langport Flame', 'Aldo Ratti' et 'Rubis Gem'.
Le jardin botanique de Glasnevin est fier de sa collection d’iris. De gauche à droite : ‘Brise de Mars’, ‘Langport Flame’, ‘Aldo Ratti’ et ‘Rubis Gem’.

La promenade se ponctue de perspectives, de jardins clos, de vues sur la rivière Tolka et sur l’étang longiligne qui attire de nombreux promeneurs. L’arboretum est particulièrement riche : pinus, quercus, prunus, taxus, cèdres… et se complète de collections de philadelphus, hydrangeas, rhododendrons, viburnums, buddleias en pleine fleurs… La visite se termine par les serres aux architectures si légères, disposées dans le centre du domaine : les ambiances d’ailleurs sont restituées avec naturel, les floraisons et feuillages exotiques intriguent grandement les visiteurs.

La richesse de ce jardin botanique en fait un lieu incontournable, aux côtés d’autres merveilleux jardins installés dans la campagne toute proche : Powerscourt, Mount Usher, Malahide Castle and the Talbot Botanic Garden, Fernhill, Killruddery…

Le savoir-faire des jardiniers anglais du XVIIIe se transcrit dans ce jeu subtil de légers glacis qui assure une transition entre la sophistication du château et les rochers sauvages à l'horizon.
Le savoir-faire des jardiniers anglais du XVIIIe se transcrit dans ce jeu subtil de légers glacis qui assure une transition entre la sophistication du château et les rochers sauvages à l’horizon.

La route se dirige vers le sud, en direction du comté de Wicklow. Les paysages vallonnés défilent, les prairies verdoyent, parsemées de boqueteaux. Des bois s’étirent sur les rondeurs des collines. Killruddery est le plus ancien et le plus important jardin d’Irlande. Conçu au XVIIe siècle dans un style régulier dit “à la française”, le parc s’étage sur une pente douce qui embrasse un large paysage typique de la région. Tous les ingrédients du jardin classique ont subsisté ici : l’immense tapis vert traité en légers glacis remonte jusqu’au pied d’une rocaille naturelle, planté d’immenses rhododendrons. Deux bassins symétriques et longilignes de 168 m de longueur font face au manoir, comme posés sur le gazon. Le grand axe plein sud les longe, aboutit à un bassin circulaire et son jet d’eau, à d’anciennes cascades puis se prolonge jusqu’à l’horizon par une double avenue de tilleuls âgés de 250 ans. La promenade emprunte des sous-bois sauvages plantés de vivaces, puis une partie formelle faite de longues allées de pelouse bordées de hautes charmilles qui se rejoignent en étoile, atteint un bassin circulaire isolé du monde par une impressionnante palissade de hêtres … L’ampleur des paysages dessinés ici est manifeste : le parc se relie sans rupture à son environnement paysager et la nature mise en scène ici est de toute beauté. Remanié au XIXe siècle suite à une très forte tempête, le parc comporte aujourd’hui des arbres aux dimensions inattendues : un Arbustus unedo, des chênes verts, des ifs…

La serre extravagante du manoir de Kilruddery.
La serre extravagante du manoir de Kilruddery.

Le manoir reconstruit dans un style néo-Elisabétain s’est adjoint une étonnante serre-jardin d’hiver à l’architecture néo-gothique inoubliable, donnant sur un parterre de style classique et un kitchen garden. La statuaire du parc, d’époque victorienne, a remplacé l’originale, sans rupture esthétique. Aujourd’hui Killruderry vit à l’heure de son temps : le parc sert de décor à de nombreux films, on y vient aussi pour un Festival de cinéma, des expositions ou des évènements artistiques. Le potager et la ferme alimentent en produits frais le Garden Café et la vente aux particuliers. Mais le charme est resté palpable et Killruderry est un témoignage indéniable du grand art du jardin.

Le "wild garden" de William Robinson recréé à Mount Usher Gardens.
Le “wild garden” de William Robinson recréé à Mount Usher Gardens.

A quelques kilomètres de là, les jardins de Mount Usher mettent en scène les pentes et les berges de l’étroite vallée de la rivière Vartry. Conçus en 1875 dans la mouvance des écrits de William Robinson, ils développent sur 9 hectares les principes décrits dans “The Wild Garden” et sont sans doute aujourd’hui un des témoignages les plus anciens de ce style qui a révolutionné l’art du jardin. Les arbres, les arbustes et les vivaces ont été introduits de toutes les régions du monde et sont plantés harmonieusement en bosquets, le long de chemins ondoyants ou d’allées engazonnées rectilignes marquant de grandes perspectives dans le jardin. La gamme des arbres est étonnante : importantes collections d’érables, d’eucalyptus, de nothofagus et d’eucryphias -dont l‘E. x nymansensis ‘Mount Usher‘-, des magnolias, le superbe Pinus montezumae, le plus vieux tulipier d’Irlande, des palmiers… Dans le clair-obscur des sous-bois se déplient les frondes des fougères. Juin est l’occasion d’admirer les floraisons polychromes de plus de cent cinquante variétés d’azalées et de rhododendrons, un spectacle tout en transparences de pétales. Les prairies de fleurs, chères à William Robinson, égayent la promenade entre sous-bois et miroirs d’eau, au fil de clairières où bulbes et vivaces –pavots, lis martagon, polygonums… -s’étagent dans les parterres. Mount Usher a été entretenu par 4 générations de Walpole, avant d’être sous la responsabilité de jardiniers tout aussi fervents admirateurs de ce style naturel qui font de ce domaine un des trois plus remarquables d’Irlande.

Comme une sculpture autour delaquelle s'organise tout le jardin d'Helen Dillon, le canal d'eau ajoute à son graphisme le léger bruissement de l'eau en cascade.
Comme une sculpture autour de laquelle s’organise tout le jardin d’Helen Dillon, le canal d’eau ajoute à son graphisme le léger bruissement de l’eau en cascade.

Retour sur Dublin pour un petit jardin de 2000 m2 qui ne manque pas de piquant : sa conceptrice, l’exubérante Helen Dillon, jardinière passionnée, journaliste à ses heures et conférencière autour du monde, ne sait pas le laisser en place : petits et grands changements marquent chaque nouveau printemps.

C’est d’abord de la fenêtre du salon, au 1er étage de cette maison très cosy, que se contemple ce jardin dont la moindre des originalités n’est pas d’avoir supprimé la pelouse centrale au profit d’une suite de bassins longilignes qui rappellent les jardins de Grenade. La terrasse étroite autour de l’eau, réalisée en pierre d’Irlande calcaire, d’un très beau gris, donne vue sur un ensemble extraordinaire de parterres de vivaces, dont l’harmonie des coloris et des nuances laisse rêveur. Helen Dillon est une fée des harmonies florales, des volumes et des alliances de plantes.

L'humour d'Helen Dillon se trasncrit dans ces poubelles en zinc plantées de fougère arborescente, bien acclimatée en Irlande.
L’humour d’Helen Dillon se trasncrit dans ces poubelles en zinc plantées de fougère arborescente, bien acclimatée en Irlande.

Derrière ces parterres un minuscule chemin fait le tour du jardin et donne d’autres perspectives sur de petites scènes qui s’enchaînent miraculeusement au fil des pas et autour d’objets traditionnels : un vieux banc en bois, un cadran solaire, des topiaires de buis, un cabanon de jardinier, un jardin désertique, une serre, tout arrive à s’enchaîner naturellement dans une explosion de chlorophylle. Par ci, par là, les étiquettes de plantes montrent le travail invisible mais considérable que nécessitent ces impeccables tableaux de fleurs : Helen Dillon, modeste, estime que c’est au fur et à mesure des saisons de l’année que son jardin fait apparaître ses (légères) erreurs de conception. Et c’est sans doute pour cela que, l’automne venu, elle s’empresse de modifier, changer, déplanter, replanter, préparer ses semis, assez impatiente, on l’imagine, de regarder le résultat l’année suivante… sous l’œil intrigué de Mr. Reginald, son Dachshunds à courtes pattes, celui là même qui l’a obligé il y a quelques années à supprimer toute trace de gazon dans son jardin… et à faire de son jardin de ville un très grand jardin.

Même si chaque city-trip a une fin plus rapide qu’on ne l’avait imaginé au préalable et que quitter l’Irlande laisse toujours le cœur un peu gros, la somme des images engrangées, des sensations ressenties, des idées à garder en mémoire, des adresses à ne pas oublier fait retrouver son propre jardin avec une certaine excitation !

 

 

 

Image à la une : Un lis des Pyrennées (Lilium pyrenaicum) dans les sous-bois de Mount Usher Gardens.

Tout savoir sur …

Des jardins à visiter

Bloom, Phoenix park, Dublin, Irlande

National Botanical Garden, Glasnevin, Dublin 9, Irlande

Killruddery House and Gardens, Bray, County Wicklow, Irlande

Mount Usher Gardens, Ashford, County Wicklow, Irlande

Dillon Garden, 45 Sandford Road, Ranelagh, County Dublin, Irlande