Dans la composition des jardins d’aujourd’hui, notre flore indigène tient une vraie place : la délicatesse des inflorescences et sa capacité à se sentir “comme chez elle” quand on respecte ses exigences forcent l’admiration. Elle peut gérer sans beaucoup d’aide des milieux parfois ingrats et grâce à elle, papillons et autres insectes, davantage auxiliaires que nuisibles, reprennent du tonus. Cette alliée du jardinier mérite donc toute notre attention.
Le chemin quitte la grand route qui mène à Chimay et descend rapidement dans un versant densément boisé. A mi-pente, le paysage s’ouvre et le regard embrasse alors l’ensemble du vallon. Sur la droite, le soleil matinal fait pétiller l’étang tranquille bordé d’une prairie complantée de bouleaux. Au loin, derrière des barrières de bois brut et des buissons de cornouillers, une multitude de touradons de molinie trahissent l’existence d’une vaste zone humide. Avec un bruissement léger, l’Eau Noire écoule ses ondes limpides dans un réseau dense de ruisselets ourlés de blocs de pierre du pays.

Vers l’est, derrière la demeure, une prairie largement fleurie illumine l’autre extrémité de la vallée. Sans presque le savoir, nous sommes au cœur d’un jardin. “Je me suis coulé dans le désir du propriétaire qui souhaite se sentir au milieu de la nature” raconte le paysagiste Philippe Renac, qui, depuis une douzaine d’années, transforme petit à petit ce territoire “vierge” en un jardin qui ne se dit pas : “Au début de notre intervention, un travail important a été fait pour créer un modelé de sol intéressant, creuser un étang et améliorer esthétiquement le chevelu de ruisselets préexistants. Nous sommes dans un site humide, frais, parfois très froid et régulièrement inondé. Il faut composer avec ces contraintes.”

Une clôture anglaise d’allure champêtre délimite visuellement les espaces proches de la maison. Chaque année des plantations nouvelles viennent compléter un tableau pittoresque qui se construit pas à pas. “Notre objectif est de recréer un paysage le plus proche de la nature environnante. Visuellement notre intervention doit être la plus minimaliste possible”. La coloration automnale des arbres a été privilégiée dans les boisements, notamment ceux placés dans la grande perspective Est de la maison. Des essences arbustives indigènes, des fougères et graminées, beaucoup de vivaces locales ont été utilisées en bordure des prairies fleuries, près de la maison, dans les sous-bois. Même pendant l’hiver, les eupatoires chanvrines gardent leurs hautes hampes terminées de soyeux capitules de fruits et se mêlent avec bonheur aux graminées horticoles voisines.
En parcourant cet endroit, on se plait, en ce siècle où la question de la réduction de la biodiversité est cruciale pour la survie de la planète, à imaginer des jardins où notre flore locale y reprendrait une place substantielle.

A vrai dire, cette place, elle ne l’a jamais vraiment complètement perdue. L’art du jardin a toujours fait appel à des plantes locales indigènes, que l’on songe bien sûr aux jardins médiévaux –les apports floristiques exotiques étaient alors fortuits- ou, un peu plus tard, à l’utilisation de l’if, du charme, du hêtre, du buis, arbres et arbustes résistants et faciles d’emploi dans les haies taillées. Mais au fil du temps, de la multiplication des voyages et des échanges, les plantes exotiques ont vite surpassé en intérêt la flore locale. Le développement de l’horticulture a permis les hybridations, les croisements, et a facilité la culture de ces plantes de régions chaudes dans des orangeries, serres froides ou tempérées, plantes qui étaient sorties dans le jardin pendant l’été.
La naissance, en Angleterre, du jardin paysager et du jardin pittoresque apporte à la scénographie du jardin des aspects plus naturels ou plus sauvages. Les paysagistes de l’époque s’attachent à travailler très finement les alternances d’ombre et de lumière grâce notamment à des plantations recherchées, arbustives et arborées de persistants et de feuillus. C’est la mode des arbustes à floraison printanière : cytises et chèvrefeuilles, mais aussi lilas ou magnolias.

Dans “The Flowering of the Landscape Garden”, Mark Laird publie des sketches du paysagiste Joseph Spence datant des années 1750 : dans ses “Parsonage Flower Gardens” (des jardins de curé, dirait-on aujourd’hui), œillets, violettes, ancolies, primevères, fraisiers, crocus, perce-neige, jonquilles, scabieuses, lavandes, marjolaines, lychnis, campanules, silènes, s’épanouissent aux bords de l’allée centrale. Mais dans la plupart des autres Flower Gardens se mélangent depuis longtemps à ces plantes indigènes, des échinacéas, phlox, lis, asters, célosies, jasmins… rapportées le plus souvent d’Amérique du Nord.
La passion pour les plantes exotiques non rustiques va aller croissant au cours du XIXe siècle. Elle génère des soins assidus, des investissements de plus en plus importants et une sophistication que certains trouvent bien éloignée du plaisir simple de la nature. En 1870, William Robinson publie “The Wild Garden”. Grâce à son immense expérience de jardinier, de botaniste et d’observateur attentif des habitats floristiques, Robinson propose une nouvelle manière de concevoir un jardin, plus authentique, plus respectueuse des plantes et de leurs besoins, plus naturelle en ce sens qu’elle revient vers des conceptions presque “pittoresques” des scènes du jardin. Dans cette approche qu’on serait tenté de dire aujourd’hui plus durable, Robinson cherche à introduire des plantes – notamment des vivaces-, indigènes ou exotiques rustiques, qui puissent s’installer “naturellement”. Ce Wild Garden va faire couler beaucoup d’encre : le livre sera réédité 5 fois jusqu’en 1895. La 6e édition complétée est sortie l’année dernière, preuve que Robinson est toujours dans l’air du temps…
Ce nouveau style arrive sur le continent au début du XXe siècle. En 1904, dans le Moniteur horticole édité à Bruxelles, on peut lire ce commentaire qui témoigne d’ailleurs d’une conception bien dépassée aujourd’hui de la Nature sauvage : ” Ces wild gardens, littéralement jardins sauvages, (…) ont acquis droit de cité et nombreux sont déjà les amateurs anglais qui ont recours à ce genre d’ornementation pour égayer et enjoliver leurs domaines (…ce n’est pas encore le cas sur le continent). Le terme “jardin sauvage ” pourrait à priori donner lieu à une mauvaise interprétation (…) Aussi nous semble t’il plus rationnel de lui substituer le nom de jardin naturel. Le premier terme pourrait en effet faire croire à une représentation intégrale de la nature sauvage avec toutes ses laideurs alors que le jardinier a tout simplement pour but l’imitation de cette nature dans ce qu’elle a de beau. Le jardin naturel peut être défini comme suit : ” c’est une adaptation des plantes indigènes et exotiques rustiques dans des conditions telles qu’elles puissent végéter sans aucun soin ultérieur et présenter dans leur ensemble ce cachet pittoresque et enchanteur qui caractérise les plantes à l’état spontané.”

Et voilà l’apparition dans les jardins de prairies couvertes de crocus, jonquilles et narcisses qui se naturalisent facilement, le début d’un long enthousiasme pour les clématites venant d’Europe mais aussi d’Amérique du Nord, du Népal ou d’Afrique du Nord, l’emploi des grimpantes dans les haies, sur les clôtures en bois (en chêne, écrit Robinson, jamais en métal), des glycines et autres lianes dans les arbres et les buissons hauts, des haies et des jardins de sous-bois, des plantations le long des berges de ruisseau, des jardins d’eau, des murs de pierres envahis de saxifrages, orpins ou centranthes.
Robinson n’oublie pas les espèces sauvages britanniques :” Nous cherchons des arbustes à fleurs dans le monde entier mais il n’en pas un plus agréable que la Viorne obier, commune dans les bois du Sussex, que l’on observe aussi souvent en bord de mer, dans le Surrey,” écrit-il, mais impossible, à l’époque, de la trouver en pépinière ….

Robinson ne va pas être le seul à travailler et écrire sur ce jardin naturel. Né aux Pays-bas quelques années seulement avant la parution de The Wild Garden, Jacobus Pieter Thijsse (1865-1945) est, lui aussi, un pionnier de l’écologie et de l’utilisation des plantes indigènes dans les parcs et jardins. Botaniste et naturaliste, moderniste et fonctionnaliste, il va créer le terme “heemtuin” -ou “heembos”-, un jardin naturel dédié aux flore et faune indigènes. C’est dans le Kennermerland et plus particulièrement sur l’île du Texel qu’il concrétisera ses idées en créant à partir de 1925 le parc du Thijsse Hof, au cœur d’un paysage de dunes côtières et de zones humides, des milieux déjà précieux pour la biodiversité qu’ils abritent. Il en fera un jardin didactique exceptionnel, toujours largement visité aujourd’hui, en y recréant les biotopes de la région. Dessiné par le paysagiste Leonard Springer, les plantes sont fournies par Kees Sipkes, propriétaire d’une pépinière de plantes sauvages.
“Ce style naturaliste va influencer des paysagistes contemporains comme Piet Oudlof, Tom Stuart Smith, Wolfgang Oehme ou James van Sweden qui vont même être à l’origine du nouveau jardin américain” explique Denis Dujardin qui fera du Heempark de Thijsse à Amstelveen son sujet de thèse. Architecte de jardin, enseignant, Denis Dujardin a été un des premiers en Belgique à s’intéresser à cette nouvelle esthétique, qui participe d’une certaine façon à la vision “durable” de son travail : “Beaucoup de projets publics intègrent actuellement des plantes indigènes dans leurs plantations, ce qui répond effectivement à un nouveau regard vers la nature.”

Le jardin contemporain cherche à limiter l’emploi des produits phytosanitaires et des herbicides, dans un souci de protéger notre environnement mais aussi de lutter contre une érosion certaine de la biodiversité. Les insectes pollinisateurs trouvent principalement dans les plantes indigènes le nectar dont ils se nourrissent mais aussi le pollen qui participe à la perpétuation des espèces : le lien étroit qui existe bien souvent entre un insecte, ses phases de croissance et des espèces particulières de plante est bien connu. Les plantes horticoles, devenues fréquemment stériles, représentent souvent des leurres pour les insectes. Les plantes exotiques, elles, n’apportent pas toujours la bonne réponse aux insectes : le buddléa accueille ainsi par centaines des papillons adultes, mais ses feuilles ne sont consommées par aucune de leurs chenilles. Dans les friches où il peut être fortement présent, il occupe la niche écologique d’espèces autochtones qui n’ont pas résisté à sa concurrence et qui ne pourront donc servir de support au développement des chenilles. Entendre bourdonner son jardin, voir papillonner ses fleurs est donc synonyme d’attention portée aux “indigènes”. Encore faut-il que ces plantes soient de véritables indigènes…
“A côté des sites Natura 2000, des réserves naturelles, et autres sites protégés, le jardin est probablement un lieu pour lutter contre l’érosion de la biodiversité de nos régions” souligne Pascal Colomb. Initialement chercheur à l’UCL au Laboratoire d’écologie des prairies, il crée une “start-up” prénommée Ecosem, spécialisée dans la production de semences de plantes indigènes. Pas question en effet d’aller récolter soi-même des plantes dans la nature : pour respecter la diversité biologique, les semences sont recueillies sur des plantes originaires de Belgique et mises en culture sur champ grâce à la collaboration d’agriculteurs locaux : “Ecosem garantit l’origine et l’espèce. Mais dans ce domaine il n’existe pas encore de règlements internationaux comme il en existe déjà pour des légumineuses et des plantes agricoles, ni de véritables contrôles”, précise-t-il. “Alors bien souvent, des semences ou des plantes en pot dites “indigènes” ne sont pas originaires de Belgique et ont des formes très voisines de plantes existant ici.” C’est le cas notamment de plantes à fleurs doubles qui, d’ailleurs, ne peuvent pas être butinées par nos insectes. Pascal Colomb propose aujourd’hui un catalogue de plus de 50 espèces issues de notre patrimoine floral, produites sur plus de 15 hectares.

Semences, mélanges “prairies fleuries”, plantes en pot, arbustes mellifères, la gamme Ecosem s’étend d’année en année tout en permettant une adéquation parfaite à l’écologie de chaque site. Les mélanges de semences pour prairies peuvent être réalisés à la demande et Pascal Colomb s’investit lui-même largement dans le suivi de terrain : avec Philippe Renac, ils travaillent ainsi de concert depuis quelques années sur la grande prairie qui borde l’Eau Noire en améliorant au fil des années sa composition florale.
Si, en quelques années, la prairie fleurie est devenue un standard, pour leurs massifs les jardiniers impatients préfèrent encore les plantes en pots… Economiste de formation, Freddy Sparenberg est tombé enfant dans le jardin “naturel” grâce à son père. Et il se souvient avec émotion des ornithogales qu’il a découvert, plus tard, au fond du jardin, en achetant sa première maison. Il cherche alors à créer chez lui des ambiances telles que celles qu’il aime retrouver en observant plantes et oiseaux dans des lieux protégés. Mais les plantes sauvages ne se vendent alors nulle part… sauf peut-être en Hollande. En 1994, il décide de créer sa propre pépinière de plantes indigènes, Ecoflora, un pari pour l’époque. Il se diversifie pour rentabiliser son entreprise et ajoute à sa production des plantes aromatiques, médicinales, des produits bio, puis des arbustes indigènes et aujourd’hui des variétés anciennes d’arbres fruitiers. Si ses premiers clients sont de vrais naturalistes, il accueille des collectionneurs tournés vers des jardins “botaniques”, des curieux prêts à expérimenter des plantes comestibles indigènes, à tester des goûts inconnus ou intéressés par des plantes aux vertus médicinales, voire même des plantes tinctoriales. Mais une bonne partie des visiteurs de la pépinière vient aujourd’hui introduire des plantes de nos régions dans leur jardin, pour leur esthétique particulière, pour retrouver sans doute des plantes de leur enfance devenues rares, mais aussi pour retrouver le plaisir des insectes, abeilles, syrphes, papillons, scarabées butinant les fleurs aux premiers rayons de soleil.

Ecoflora travaille à partir de graines de plantes-mères ou de graines provenant de pépinières qui certifient l’origine de leurs graines : “Avec ces provenances nous avons des plantes bien adaptées à nos contrées, ajoute Freddy Sparenberg. Et j’évite les sous-espèces d’origine géographiques trop lointaines. Mais je ne me sens pas puriste à l’extrême, au sens de n’utiliser que des plantes strictement locales, provenant d’un territoire très restreint.”
Dans les 600 espèces de plantes qu’il cultive, un certain nombre ont des biotopes très restreints. Et il est indispensable de choisir chaque plante en fonction des conditions écologiques du milieu : “Beaucoup de personnes n’ont aucune idée de la nature du sol de leur jardin et sont peu averties des relations entre la plante et son milieu”, ajoute Freddy Sparenberg. “On achète une plante, qui souvent végète, et au bout de 2-3 essais, on abandonne pour se retourner vers des plantes classiques, qui semblent plus “solides”. Parfois les plantes indigènes sont assez flexibles sur leurs conditions de développement : “Je pense à la Lunaire vivace (Lunaria rediviva), que l’on ne trouve jamais dans la nature en dehors de terrains calcaires. Dans un jardin elle est capable de s’adapter à des conditions plus larges.” Lunaria rediviva est aujourd’hui une plante protégée inscrite sur la liste rouge des espèces menacées.
Ces particularités de culture sont relevées par le paysagiste Denis Dujardin. “Les plantes de notre flore indigène sont souvent des plantes de sous-bois, vivant autrefois sous des forêts “primitives”.” Fougères, luzules, hellébores, pervenches …. Ces plantes de mi-ombre sont parfaites dans nos jardins d’aujourd’hui : elles peuvent être utilisées en couvre-sols ou bien même dans des massifs. Luzula sylvatica est la préférée de Denis Dujardin : “Je la plante dans des massifs arbustifs, sous les arbres, même parfois dans de grands mixed-borders. C’est une plante facile, qui forme rapidement des touffes aux belles inflorescences légères. Elle n’est pas trop envahissante, jamais malade.”

Fortement influencé, comme Denis Dujardin, par l’Angleterre, Louis Benech est sans doute avant tout un jardinier que la botanique passionne. Dans son chaleureux bureau parisien, tout proche du parc des Buttes-Chaumont, Tulipe, le chat tigré, somnole sur des dossiers. Des dizaines de livres s’alignent sur les tablettes de la bibliothèque.
Louis Benech revient de la Nouvelle-Orléans où il a été choisi pour recréer un jardin détruit par l’ouragan Katrina. Une analyse palynologique a permis de recueillir des pollens existant dans le sol et de retrouver les espèces indigènes qui poussaient à cet endroit. “Leur utilisation dans le jardin sera un symbole de la renaissance des lieux” : pour Louis Benech, jardin et plantes indigènes ont toujours fait très bon ménage, résultat de l’observation minutieuse qu’il fait des paysages qu’il rencontre, d’un lien essentiel qu’il tisse entre les caractéristiques d’un site et son projet, enfin d’un souci de concevoir des jardins faciles à vivre. Amené à travailler de nombreuses fois dans le pourtour méditerranéen, il est intarissable sur les qualités de la flore indigène de ces pays : “Outre leur adaptation à la sécheresse qui me permet de concevoir des jardins très naturels qui ne requièrent pratiquement pas d’entretien, les plantes du Sud sont incroyablement belles : regardez les cistes, le fenouil, la germandrée, les anthyllis, la lavande, les graminées locales, le chêne vert… le maquis, la garrigue sont des palettes végétales très agréables à recomposer dans un jardin. C’est une flore très inspirante. Les floraisons sont longues, les feuillages très séduisants.”

Dans ses jardins plus septentrionaux, Louis Benech retrouve l’esprit “William Robinson” et élabore ses plantations à partir d’indigènes de l’Europe de l’Ouest et de l’Est qu’il mélange ensuite avec des exotiques rustiques. “J’ai tendance à systématiser les massifs d‘Iris foetidissima, indigène aujourd’hui disparue et de Trachystemon orientalis exotique au pied des arbres. Dans les massifs d’arbustes, à l’ombre, les pervenches, le lierre terrestre, le fraisier, l’hellébore fétide, la luzule, la laîche pendante (Carex pendula), des graminées font merveille.”
S’inspirant largement de ce qu’il observe dans la nature, Louis Benech aime “singer le sauvage” ! Adepte d’une certaine forme de tapisserie naturelle, il plante ses massifs sans grouper plusieurs plantes d’une même espèce mais en composant plante par plante le dessin final. Pour lui, les plantes natives apportent plus de douceur, plus de candeur, de grâce, de légèreté. Ce qui ne l’empêche pas, parfois, d’oser des associations gaies, “giflantes”, à l’instar de cette colline couverte de genêts et de centranthes, aperçue lors d’un voyage en Grèce, et qui l’a ébloui ! Au château de Pange, en Moselle, des Iris pseudacorus se mélangent aux Miscanthus et à l’iris de Sibérie. Ailleurs, Rosa glauca et Valeriana officinalis se conjuguent avec Eupatorium maculatum, d’origine américaine, et le Sedum telephium pourpre. Eupatoriumcannabinum voisine avec Centranthus ruber et Boltonia astéroïdes, souvent accompagnées de graminées. “Les fougères, la scolopendre notamment, constituent aussi des plantes indigènes remarquables dans les jardins.”

Les vivaces sauvages se développent sans avoir un réel besoin d’amendement. Par contre il faut respecter les degrés de fraîcheur du sol dont elles ont besoin. Placées au bon endroit elles ne demandent guère de soins, c’est leur grand atout … quitte à devenir un peu envahissantes. Il est nécessaire de savoir reconnaître leurs plantules pour éviter une colonisation rapide et prendre le temps de couper leurs fleurs fanées pour les rendre plus belles. “J’aime beaucoup les pétasites,” souligne Denis Dujardin, “sans doute une réminiscence du jardin de mon enfance où les berges d’un ruisseau étaient envahies d’un magnifique mélange de Petasites hybridus et d’Anthriscus sylvestris. Je viens de les employer à profusion pour un parc à Renaix où je les installe avec des aulnes. Mais je n’en mettrais jamais dans un mixed-border, elles ont trop tendance à coloniser le terrain !” Louis Benech, lui, les accepterait plutôt … sous condition :” Mieux vaut installer une plante indigène un peu envahissante, “costaude”, qui se tienne, que d’observer un appauvrissement rapide du massif : mais il faut faire attention à ce que l’on fait.”
Nos trois paysagistes, tous trois fortement influencés par l’Angleterre et la passion de ses jardiniers pour le végétal et la nature sous toutes ses formes, le savent bien : “Etre paysagiste c’est en quelque sorte faire du théâtre en empruntant à la nature, conclut Denis Dujardin, et le jardin est un lieu où l’homme projette son idée d’une nature prodigieuse, son désir de paradis.” Les espèces indigènes y ont évidemment toute leur place…