Agnès Daval : entre arts plastiques et paysage

Texte : Dominique Guerrier-Dubarle
Photos : Digitale paysage
In : Pierre Actual 2008

The broad windows of the studio open onto a courtyard and a small triangular garden : we are in an Alsatian farmhouse in the heart of Hanau. Carved wood, stone, tiles, all being restored. DIGITALEpaysage, Agnes Daval and Gabriel Milochau workshop, here begins its 12th year of existence, offering a look at the landscape full of artistic reminiscences.

Les larges baies de son atelier s’ouvrent sur une cour triangulaire et un petit jardin : nous sommes dans une ancienne ferme alsacienne, au cœur du pays de Hanau. Colombages de bois sculpté, pierres, tuiles, le tout en phase de restauration. DIGITALEpaysage, l’atelier d’Agnès Daval et de Gabriel Milochau, entame ici sa 12e année d’existence, en proposant un regard sur le paysage empreint de réminiscences plasticiennes.

Le paysage, c’est avant tout un regard porté sur le territoire : celui d’Agnès est le fruit de son expérience multiple, à la fois plasticienne de par sa formation et aujourd’hui toute tournée vers l’espace de ce paysage, naturel ou plus urbain, qui l’entoure. Historienne de l’art, elle s’est formée à l’Ecole supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg, dans la section design, un lieu qui l’a portée vers la forme, dans un souci constant de la rendre porteuse de sens. Tentée par l’option “paysage” elle va s’y investir comme étudiante d’abord, puis quelques années plus tard comme chargée de cours… Elle s’ouvre ensuite aux champs du patrimoine des jardins et des paysages : elle est diplômée en 1996 du DESS “Jardins historiques et Paysages” à l’école d’architecture de Versailles. Cette expérience pluridisciplinaire la passionne : “Le jardin historique et sa prise en compte comme élément constitutif d’un patrimoine singulier à conserver est paradoxalement à l’origine du renouveau du jardin contemporain” dira t’elle. “C’est sur cette base que le défi est aujourd’hui à relever. Refaire du jardin une œuvre d’art.”

Agnès Daval s’est établie à Imbsheim avec sa petite famille pour retrouver le calme d’une campagne accueillante dans un bourg où il fait bon vivre. Agnès, Gabriel Milochau, son associé, Amandine et Bruno, leurs collaborateurs, gèrent les dossiers de l’agence : des projets qui montrent leur attachement à une participation active à tous les aspects que prend aujourd’hui le paysage : des créations d’espaces publics, des restaurations de jardins historiques, des aménagements urbains, un travail sur le “grand paysage” et puis aussi, réminiscence du design, des jardins évènementiels créés dans le cadre de Festivals comme ceux de Chaumont-sur-Loire, Lausanne jardins ou le Festival des deux rives à Strasbourg.

Création Agnès Daval pour le sentier de Prény, dans le parc naturel régional de Lorraine
Création Agnès Daval pour le sentier de Prény, dans le parc naturel régional de Lorraine

La pierre s’intègre dans son travail par touches subtiles. En témoigne cet aménagement récent dont elle a commencé la réalisation en 2005, dans le Parc naturel régional de Lorraine, pour la commune de Prény. “Il nous a été demandé de réaliser un sentier d’interprétation du paysage dans une partie de la commune situé en surplomb par rapport à la vallée. Les points de vue qui se dégagent par endroits ont été mis en valeur dans le but de susciter une observation sensible du territoire qui se déroule sous les yeux des promeneurs”, précise Agnès Daval. “Ici, le paysage n’est pas envisagé comme un tableau, mais comme une réalité culturelle et naturelle dans laquelle le promeneur chemine, interrogé, sollicité, freiné dans sa marche par des interventions qui lui permettent de saisir, découvrir mais aussi comprendre l’histoire et la poésie des espaces qui composent ce paysage.”

Le sentier comprend deux boucles. Un ensemble de bornes en pierre, gravées par le sculpteur Jean-Paul Hattemer, ponctuent régulièrement le chemin. A chaque point de vue, une sculpture offre la possibilité de voir autrement le paysage qui se déroule sous les yeux. C’est un objet, souvent très simple, qui interpelle le promeneur dans son cheminement : il n’est pas posé là dans le but d’être regardé pour lui-même mais plutôt dans celui de devenir “passeur” de paysage, un moyen d’observer en s’arrêtant, de s’appesantir sur ce que l’on découvre autour de soi.

Chaque borne, oeuvre de  Jean Paul Hattemer, sculpteur à Imbsheim, se lit clairement dans le site.
Chaque borne, oeuvre de Jean Paul Hattemer, sculpteur à Imbsheim, se lit clairement dans le site.

Le travail de DIGITALEpaysage concerne toutes sortes d’espaces dans nos territoires : le grand paysage, des espaces urbains, des restaurations de jardins anciens ou historiques mais aussi des jardins “évènementiels” comme celui réalisé pour le Festival Lausanne Jardins en 2000. Agnès Daval rêvait de parler du jardin dans l’espace même de la rue. Elle propose d’écrire sur le pavage de la place Saint-François comme un rêve de Saint-Exupéry : “Dessine-moi un jardin”. ” Il s’agissait pour moi d’écrire le désir de jardin bien plus que de le dessiner,” souligne-t-elle. ” Ce désir tenace, populaire, celui que porte la ville de Lausanne. Cette envie qui laisse parfois l’herbe s’insinuer entre les pavés. Il s‘agit d’accepter le paradoxe et d’inviter le passant à imaginer le jardin à ma place. Attendre comme le Petit Prince, la réponse de l’étranger.” Quelques pavés seront sciés et remplacés par des dalles alvéolaires synthétiques remplies de terre semée de gazon. Quelques semaines plus tard, un message s’écrit dans la pierre…

La découpe des pavés de la Place Saint François à Lausanne, un préalable à une écriture vivante sur le sol.
La découpe des pavés de la Place Saint François à Lausanne, un préalable à une écriture vivante sur le sol.

L’intérêt porté par Agnès Daval pour faire vivre de manière contemporaine notre patrimoine tout en préservant son essence, se traduit de belle manière dans une réalisation de 2004, dans laquelle elle s’est toute entière investie. C’est dans le cloître de l’ancienne abbaye de Neumünster à Luxembourg qu’elle s’est engagée dans un travail de réinterprétation d’un espace devenu aujourd’hui centre d’art, de culture et de rencontres.

L’abbaye de Neumünster est un important patrimoine historique pour le Luxembourg : située dans le quartier du Grund, l’une des trois villes basses de la capitale, au bord de l’Alzette, elle est le site d’une implantation bénédictine au XIVe siècle. L’histoire lui donnera de multiples affectations jusqu’à ce qu’elle devienne, au XXe siècle, hôpital militaire. Formée d’un ensemble de bâtiments de différentes époques remis en valeur à la suite d’une dizaine d’années de travaux, l’abbaye se devait de retrouver un cloître, non pas à vocation religieuse, mais plutôt lieu de calme et de rencontre. Agnès Daval est chargée du projet : “En l’absence de traces ou mémoire d’aménagements anciens, nous nous devions d’y porter un projet contemporain fort et en même temps d’y apporter une réminiscence de son histoire”. S’appuyant sur l’histoire, l’idée d’un labyrinthe prend forme, une forme inattendue…

Détails des banquettes-herbier réalisées en pierre bleue de Belgique ®
Détails des banquettes-herbier réalisées en pierre bleue de Belgique ®

Dans cet espace carré très rigide, entouré de murs uniformes, avec pour seule échappée le ciel, le labyrinthe de pierre dessine une rupture en terme d’écriture”, souligne-t-elle. “Il introduit un mouvement au sein d’un cadre architectural statique en se déconnectant de son tracé régulateur. Il s’anime et se soulève en paliers successifs comme taillés dans l’épaisseur du sol qui se dérobe.”  Son tracé est construit à partir de l’architecture du lieu : trois directions sont données issues d’un décalage léger et progressif de l’axe Ouest-Est qui détermine la symétrie du cloître. Ce labyrinthe dessine des feuilles jardinées, qui deviennent en volume des banquettes “herbier” car elles sont le support d’un herbier médiéval vivant : les plantes, utilisées notamment par les moines et caractéristiques des herbiers ou des tapisseries de cette époque, y sont cultivées les unes à côté des autres, sans fioriture, comme dans un jardin de simples. Le calepinage du dallage au sol emprunte aussi ces trois directions pour accompagner le glissement des “feuilles ” de pierre. La sagine, cette petite plante couvre-sol d’un vert tendre, vient s’immiscer dans les interstices  des joints.

Le jardin du cloître de Neumünster tel que voulu par la paysagiste Agnès Daval. Les parties en galets permettent le drainage naturel de l'ensemble. (©Philippe Lepeut)
Le jardin du cloître de Neumünster tel que voulu par la paysagiste Agnès Daval. Les parties en galets permettent le drainage naturel de l’ensemble. (©Philippe Lepeut)

Le jardin du cloître se conçoit alors comme un espace dynamique où la déambulation s’impose d’elle-même mais où il est aussi possible d’installer une cinquantaine de fauteuils pour un concert ou une réception.

Passant à la réalisation de ce jardin, Agnès va choisir de la Pierre bleue de Belgique® : elle proviendra des carrières de la Pierre Bleue Belge, au sud de Bruxelles. “Pour contraster avec les murs peints en jaune ivoire, il fallait une teinte sombre pour rappeler aussi les ardoises des toitures : la pierre était indispensable dans ce lieu et celle-ci, d’aspect clair ou sombre suivant la lumière et les variations du climat, prend une très belle patine avec le temps. Elle me semblait parfaitement adaptée ici”.

La réalisation elle-même va demander un réel savoir-faire de la part de toutes les parties engagées dans ce chantier : la commande de dalles est très complexe du fait des multiples dimensions des éléments et des trois finitions souhaitées : flammé, poli, clivé. Il faut non seulement tailler les dalles en carrière, mais les numéroter et ne pas se tromper d’élément au moment de la pose : un casse-tête que l’entreprise retenue pour le chantier va permettre de mener à bon port. ” L’entreprise générale Perrard dispose de vrais paveurs ayant un réel savoir-faire et cela a été un vrai plaisir de travailler avec eux,” ajoute Agnès Daval. ” le travail a été soigné et au final, l’ensemble est tout à fait dans l’esprit que je souhaitais pour cet espace.”

Aujourd’hui penchée sur de nouveaux projets –notamment la nouvelle place de la Gare de Châlons-sur Saône avec les architectes bizontins Amiot-Lombard -, Agnès Daval poursuit un travail personnel d’écriture de l’espace. Avec ses mots gravés dans la pierre ou dessinés de multiples manières, le jardin devient un lieu où la promenade devient prétexte à exercer ses sens mais aussi sa sensibilité et son regard sur le monde.

“Traverser c’est voir, sentir, éprouver, mesurer et…rêver.”

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Image à la une : Les étapes de la conception du labyrinthe de Neumünster, une écriture contemporaine dans un lieu chargé d'histoire.

CONTACTS

Agnès Daval, Gabriel Milochau

DIGITALEpaysage

39, rue de l’école

67330 IMBSHEIM – FRANCE

contact@digitalepaysage.com

 

LIENS

Lausanne-Jardins

Parc naturel régional de Lorraine

L’association Pierres et Marbres de Wallonie regroupe 17 carrières belges de pierre naturelle dont une demi-douzaine de sites d’exploitation de pierre bleue.